L’organisation du congrès mondial de l’AILC (Sorbonne, 18-24 juillet 2013, coordination par
Anne Tomiche) sur « Le comparatisme comme approche critique » a
confirmé au CRLC une dynamique de travail commun, et fondé la décision de
prolonger dans le projet de recherche du prochain plan la réflexion théorique
sur le comparatisme comme analyse du partage et de la confrontation.
Le partage est compris comme ce qui « donne à voir en même temps l’existence
d’un commun et les découpages qui y définissent les places et les parts respectives » (Jacques
Rancière, Le Partage du sensible, Paris, La fabrique-éditions, 2000). Il peut prendre la forme d’un
même héritage reçu ou revendiqué, d’une même autorité reconnue ou au contraire
contestée, ou d’usages partagés ou au contraire contestés par plusieurs
cultures, par plusieurs œuvres. Il est en ce sens le domaine de définition par
excellence d’une critique comparatiste attentive à déterminer et à déprendre le
commun du propre, le même de l’autre, car il suppose l’existence préalable d’un
objet ou d’un lieu commun, donc l’homologie. La critique comparatiste examine
alors les différentes manières dont les cultures et leurs œuvres mobilisent un
objet posé comme étant à l’origine identique : les confrontations sont
l’objet qu’elle étudie. Mais si cette existence préalable d’un objet commun
identique n’est pas avérée, alors le comparatisme devient, comme l’a montré
Marcel Detienne dans Comparer l’incomparable (Paris, Seuil, 2000), une
exploration expérimentale de l’analogie, une démarche problématisante et
heuristique dont l’outil privilégié est une confrontation de situations
historiques et culturelles que rien ne rapproche a priori, le seul lieu commun
objectif étant dans le regard que porte sur eux celui qui fait la comparaison.
La confrontation est alors la méthode, et non l’objet de la comparaison.
C’est dans la prise en compte d’une complémentarité et d’une tension entre ces deux
notions que se définira donc notre projet scientifique, consacré à une réflexion sur le comparatisme en tant
qu’examen des partages et confrontations
1) des autorités ;
2) des héritages ;
3) des usages et des représentations.
1. PARTAGE ET CONFRONTATION DES AUTORITÉS / AUTORITÉS EN PARTAGE
Les travaux prévus au CRLC porteront spécifiquement sur les autorités partagées et
les conflits d’autorité, notamment entre l’auteur et le traducteur, entre le
masculin et le féminin, entre les auteurs de différents arts. Ces travaux
entreront en dialogue et en résonance avec les recherches menées au sein
d’autres équipes du Labex OBVIL, comme le CELLF, dans le cadre de l’axe 3
« Intertextualité et auctorialité », et dans d’autres centres
comparatistes, en particulier le Groupe Phi à l’Université de Rennes et le
CELEC à l’Université de Saint-Étienne.
1.1. Traducteur / auteur : projet
d’un répertoire bio-bibliographique des traducteurs de langue française et d’une collection de
« traductions comparées des grandes œuvres littéraires » (coordination : Jean-Yves
MASSON)
1.2. Partages et passages genrés
d’autorité ou : le genre des signatures (coordination : Anne
TOMICHE ; collaborations : l’équipe de germanistes REIGNN et le
centre des anglicistes VALE)
1.3. Représentations et fictions de
l’auteur, au masculin et au féminin
1.3.1. Le personnage de l’auteur
dramatique au théâtre du XVIe au XXIe siècles(Coordination: Clotilde Thouret ;
PRITEPS-CRLC)
1.3.2. La représentation du peintre et
de l’art pictural dans le roman du XVIIIe au XXIe siècle(coordination : Bernard
Franco)
1.3.3. Le personnage du compositeur et
du musicien dans les œuvres littéraires et musicales, du XVIIIeau XXI
e siècle(coordination : Stéphane
Lelièvre)
1.3.4. Le roman de l’artiste :
histoire et théories d’un genre(coordination :
Bernard Franco)
1.3.5.
Fictions et
héroïsations de l’auteur, au masculin et au féminin(coordination : Véronique
Gély)
2. Partage
et confrontation des hÉritages
Les
travaux de ce thème auront comme point d’articulation et de rencontre un
colloque international programmé pour le printemps 2014 : The Western
Canon, vingt ans après, en référence à la publication en 1994 du livre
d’Harold Bloom, et aux très vifs débats que ce livre a suscités. Il s’agira
d’évaluer l’intégration dans les « canons » européens et occidentaux
d’auteurs et d’œuvres qui leur étaient au départ étrangers, mais aussi,
réciproquement, de réexaminer la présence et le choix des « classiques »,
gréco-romains et européens, dans le monde occidental d’une part, d’autre
part hors de l’Occident. Un ensemble de travaux, certains ponctuels, d’autres
de plus grande envergure, continueront la réflexion entamée en amont de cette
rencontre, qui sera aussi l’occasion d’une collaboration avec d’autres unités
du PRES, notamment l’EA-VALE (anglicistes) et le CIEF (francophonie), dans le
cadre de l’axe 2 du Labex OBVIL, « Traductions, transpositions et adaptations » et de l’axe
1 : « Observation de la valeur et de la vie littéraires ».
2.1. Antiquité/modernité : un
laboratoire pour le comparatisme au sein de la mondialisation
2.1.1. Les classiques aux Amériques (coordination :
post-doctorants et doctorants, Irena Trujic, Cécile Chapon, Roberto Salazar
Morales sous la responsabilité de Véronique Gély)
2.1.2. La valeur littéraire à l’épreuve
de l’archipel : les écritures des Caraïbes et les études postcoloniales (CRLC : Cécile Chapon,
doctorante/Véronique Gély ; CIEF : Romuald Fonkoua ; VALE :
Alexis Tadié et CRIMIC (hispanistes)
2.2.
Partages et transferts
d’héritages européens
2.2.1. Le théâtre français face à
l’étranger (XIXe-XXIe siècles)(coordination : Marthe
Segrestin)
2.2.2. Transferts culturels France /
Suède (coordination : Marthe Segrestin)
2.2.3. D’un art à un autre et d’une
langue à l’autre (coordination : François Géal et Stéphane Lelièvre)
2.2.4. Création et critique depuis les
Lumières et le romantisme(coordination : Bernard Franco)
2.3.
La légitimation par les
marges : bande dessinée et canon littéraire (coordination : Clotilde
Thouret)
3. Partage
et confrontation des usages et des représentations
Ce
troisième thème verra le développement de deux enquêtes d’envergure et conçues
dans la longue durée, l’une portant sur la « haine du théâtre »,
l’autre sur les différences entre les usages « littéraires » et les
usages stratégiques de la fiction. À côté de ces deux nouveaux ensembles, se
continuera une enquête déjà engagée sur les innovations techniques au théâtre.
Il sera pour partie relié à l’axe 1 : « Observation de la
valeur et de la vie littéraires » du Labex OBVIL.
3.1.
La haine du théâtre (coordination :
François Lecercle et Clotilde Thouret)
Depuis l’époque de sa professionnalisation (fin XVIe-début
XVIIe s.), le théâtre a été prioritairement conçu comme spectacle
vivant et non comme texte à lire, si bien que c’est au théâtre que se forme
l’idée d’un public qui, prenant conscience de lui-même, s’érige en instance
collective de jugement. C’est aussi ce caractère public et collectif qui, à la
même époque, a réveillé une hostilité qui s’était déjà exprimée chez certains
Pères de l’Église. Cette hostilité s’est traduite, à partir des années 1570,
par une série de crises à travers l’Europe, entretenues par une ample
production de pamphlets qui, très vivace jusqu’à la fin du XVIIIe
s., a eu des prolongements jusqu’au milieu du XIXe s. En 2012, nous
pouvons avoir l’impression que cette haine du théâtre est révolue, sinon pour
quelques groupes qui apparaissent comme des survivances du passé. Mais si les
formes ont changé, elle n’a pas pour autant complètement disparu car le théâtre
n’a rien perdu de sa capacité à susciter le scandale. Les querelles du théâtre
n’ont jamais été purement théâtrales. Loin d’être simplement littéraire, leur
retentissement a été, le plus souvent, religieux, social et politique,
confirmant que le théâtre se situe à l’articulation de la vie littéraire et de
la vie de la cité.
3.2.
Fiction littéraire contre storytelling : un nouveau critère de définition
et de valorisation de la littérature ?(coordination : Danielle
Perrot-Corpet)
Le « storytelling management » a été bien
étudié ces dernières années, non seulement dans les départements universitaires
de communication, mais par la recherche en narratologie, mais sans faire porter
l’accent sur les enjeux politiques et philosophiques d’une telle pratique. Ces
mêmes enjeux sont, en revanche, fréquemment relevés sur un mode très critique
par les artistes eux-mêmes, écrivains ou cinéastes : de nombreux artistes
ne cessent en effet de souligner la valeur de lutte démocratique qu’ils
reconnaissent à leur pratique de la fiction littéraire, dans un contexte
d’oppression (idéologique, sinon politique). Par ailleurs, le lien entre cette
conception moderne de la « fiction littéraire » et l’éthos
démocratique (diversement mis en lumière par des philosophes comme Jacques
Derrida, Gilles Deleuze, Jacques Rancière, Jean-Luc Nancy…) a été étudié
dernièrement. Mais l’exploration méthodique de cette confrontation d’ordre
axiologique entre usages du récit à des fins de stratégie communicationnelle
(dans un but commercial, politique, de gestion du personnel…) et usages littéraires
de la fiction semble encore à faire.
3.3. Dictionnaire
des innovations techniques au théâtre (coordination :
Anne Ducrey)
Il s’agira ici de la poursuite
des travaux sur le dictionnaire des innovations techniques au théâtre, avec un
séminaire de travail sur « les scénographies contemporaines », une
journée d’études sur « théâtre et image » ; une journée d’études
sur « le son en scène », et un colloque international sur
« matériel, immatériel sur scène ».
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